Août 2017 - Avril 2018 ⎜Lautrec, Tarn, France
L’Albarine
Arts et culture • Lien social • Transmission
Dans sa grande maison de campagne, Mary, hôte Workaway*, ouvre ses portes aux voyageurs étrangers et accueille des concerts intimistes dans le cadre du programme « Chantons sous les toits », porté par la Compagnie L’Oiseau Lyre. Passionnée de chant et de poésie, elle croit profondément au pouvoir de l’écriture pour tisser des liens entre les êtres. À travers son association Éclats de Rimes, elle propose des ateliers poétiques et/ou intergénérationnels, invitant chacun à renouer avec son âme de poète… et d’enfant. Il lui tient à coeur d’honorer la mémoire de nos aînés et les souvenirs de chacun.
Durant mon séjour à l’Albarine, j’ai pu déployer mes qualités d’écoute et d’organisation, ainsi que mes compétences de rédaction et de médiation culturelle.
Mon implication s’est articulée autour de trois pôles complémentaires :
Les activités de l’association Éclats de Rimes ✍️,
La scène musicale de l’Albarine, en lien avec la Cie L’Oiseau Lyre 🎤,
L’accueil Workaway, en soutien à Mary dans l’organisation du lieu et des activités 🌍.
*Workaway est une plateforme en ligne mettant en relation des voyageurs avec des hôtes du monde entier, dans le cadre d’un échange de services.
❤️ Ce que j’ai préféré dans cette mission ❤️
Valoriser des récits de vie et la culture locale.
Rencontrer des personnes venant de tous horizons.
Médiation culturelle
✍️ Eclats de Rimes
→ Conception et animation d’ateliers intergénérationnels entre les enfants de l’école primaire de Lautrec et l’EHPAD Les Quiétudes, sur la thématique des souvenirs d’enfance, pour l’association Eclats de Rimes.
→ Animation d’ateliers d’écriture.
→ Lecture publique de poèmes.
🎤 Scène musicale
→ Organisation de concerts (envoi des invitations, dépôt de flyers, mise en place de la scène, signalétique, accueil des artistes).
🌍 Workaway
→ Accueil et intégration des voyageurs étrangers.
→ Interprétation simultanée en anglais et français.
→ Organisation et préparation des repas et réceptions.
Rédaction
✍️ Eclats de Rimes
→ Transcription et réécriture des mémoires d’une personne âgée à partir de notes manuscrites, amélioration stylistique, correction et enrichissement du contenu grâce à des entretiens approfondis avec l’auteur.
→ Récolte et transcription de souvenirs à partir d’audios.
→ Création et mise en page de deux numéros du journal collectif et saisonnier des ateliers intergénérationnels.
→ Rédaction d’articles pour le journal.
🌍 Workaway
→ Rédaction d’articles pour le blog « Chez Mary ».
→ Traduction d’articles (de l’anglais au français).
Création artistique
✍️ Eclats de Rimes
→ Création d’un logo pour l’association.
→ Création d’affiches et illustrations pour les activités de l’association.
🎤 Scène musicale
→ Chanteuse soliste lors de plusieurs concerts (chanson française, jazz, chant médiéval) avec un accompagnement au piano, à la guitare ou à la harpe.
🌍 Workaway
→ Création d’un logo et d’une étiquette « Lautrec Forever ».
Communication
✍️ Eclats de Rimes
→ Conception, préparation et animation d’interviews (recherche, élaboration du fil conducteur, rédaction des questions puis des réponses).
🌍 Workaway
→ Gestion des plateformes collaboratives et community management (blog et espace Workaway).
→ Optimisation du SEO du blog « Chez Mary ».
→ Gestion des mails et appels.
Quelques illustrations
Histoires de notre passé
Article initialement publié le 28 août 2017 sur le blog “Chez Mary”
Ce matin, qui fut mon premier matin chez Mary, est venue l’idée de raconter des histoires et de les mettre sur papier. Voici donc une histoire que je conta à Mary (pour être précise, je dirais plus que je lui racontais mes observations).
Je naquis (n’est-ce pas Mary) en Picardie. Ma famille paternelle a des origines flamandes. Fin du 19ème siècle et début du 20ème siècle, la Picardie s’appauvrit et les gens sont las de travailler dans les champs au risque de tout perdre à cause des aléas climatiques. Étant proches de Paris, beaucoup de picards décident d’y aller pour trouver un emploi dans les manufactures et autres sociétés en développement. Les villes picardes voient leur population augmenter alors que la campagne est désertée. Malheureusement, la Picardie, le « grenier à grain » de la France, a beaucoup de champs et très peu de personnes pour les cultiver.
C’est alors qu’une idée débarque – qui va changer l’avenir de nombreuses familles, dont la mienne. Les français ne veulent plus s’occuper de cette besogne. Alors, si les français ne le veulent pas, peut-être que les belges le voudront ? C’est alors qu’une campagne est lancée (si je peux me permettre l’expression) afin d’inviter des familles belges à occuper les fermes picardes afin de relancer la production. C’est ainsi que mon arrière-grand-père arriva en France avec quelques uns de ses frères.
Un de ses fils, mon grand-père Léon, me raconta qu’à l’époque, les belges et les français restaient chacun de leur côté. Les belges organisaient régulièrement des fêtes en Picardie afin de se retrouver. Au fil du temps, le clivage belge/français s’accentua car les fermes devinrent prospères. Aujourd’hui, de par chez nous, lorsqu’une personne dit qu’elle est agriculteur (j’aurais bien mis agricultrice malheureusement, le métier est encore davantage masculin dans la région), on se dit de suite qu’il est riche, qu’il a une bonne position sociale, qu’il n’a pas à se plaindre. Cela vient aussi de là.
Mon arrière-grand-mère, qui ne connaissait pas encore mon arrière-grand-père, était comptable. Elle travaillait à Paris. Je pense qu’il n’est pas faux de ma part de dire que c’était assez incroyable pour l’époque qu’une femme belge venant de la campagne vienne vivre à Paris, toute seule, et devienne comptable. Elle avait une bonne place, elle était émancipée. Le week end, elle venait faire la fête en Picardie afin de rencontrer d’autres belges. C’est ainsi qu’elle fit la connaissance de mon arrière-grand-père, son futur mari.
Elle fit quelque chose de remarquable, de courageux. Sur les conseils (très) appuyés de ses parents, elle se maria avec lui car il était bien vu de se marier avec un agriculteur : sa position sociale était assurée. Alors, elle quitta son emploi, se maria avec lui et vint s’installer à la campagne. Elle abandonna sa vie, son autonomie et peut-être même ses rêves pour être à la place qu’on lui avait dit. Elle eut une dizaine d’enfants à la suite. Elle gérait les comptes de la ferme, au centime près, comme elle gérait ses enfants : avec une poigne de fer. Mais son mari, dominé et très doux, restait l’autorité devant tous.
On m’a souvent décrit mon arrière-grand-mère comme une personne sévère, croyante et qui n’a pas vraiment le sens de l’humour. Mon grand-père la trouvait méchante. Je me suis souvent demandée si elle aimait son mari. Mais aussi, que serait-il advenu d’elle si elle avait continué sa vie de femme indépendante ?
Je ne l’ai jamais connu mais je vois sa souffrance. Toute personne ayant connu la liberté ne serait-elle pas devenue aigrie à force de vivre enfermée et soumise par les règles du patriarcat ? Elle savait ce qui lui arriverait mais elle l’a tout de même fait pour l’honneur de la famille. Et dans un sens, je trouve ce dévouement tout à fait courageux et remarquable.
Je vais désormais parler de Boulogne sur Mer. Durant tout le 19ème siècle, jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale, il y avait, à Boulogne, face à la mer, un quartier de pêcheur qui s’appelait la Beurière. Cela n’a rien à voir avec le beurre.
Le nom vient des maisons au début du quartier : de petits bâtiments en bois, où les marins déposaient leur matériel, que l’on appelait des bures. Au fur et à mesure, les marins et leur famille améliorèrent ces bures et en firent des maisons où vivre. Les maisons étaient généralement sur trois niveaux. Il y avait une famille par niveau. Dans un sens, c’étaient les ancêtres des immeubles. Au dernier niveau vivait souvent un couple avec un seul enfant.
Au début, le quartier s’appelait la Burière et cela devint la Beurière. Ce quartier était en bas de la falaise mais il était construit sur une pente. Ce ne fut que début 20ème siècle que des escaliers furent aménagés pour que la rue soit praticable.
Les hommes, étant marins, n’étaient que rarement chez eux (entre un et deux mois en tout dans l’année). Ils rentraient faire un enfant à leur femme et découvraient la frimousse du petit dernier. La mortalité infantile était très forte (contrairement à la campagne picarde dans les familles d’agriculteur à la même époque), les femmes ne le disaient même pas à leur mari tant leur compagnie était rare.
Dans cette vie-ci, les femmes portaient la culotte (trouée, c’est plus pratique quand on est loin du « Jules » – les toilettes de la maison). Le monde des pêcheurs est donc basé sur une famille matriarcale. Et je peux vous dire qu’il ne fallait pas les énerver les boulonnaises… Elles formaient entre elles un cercle soudé et on le voit encore dans une partie de la population boulonnaise.
Les femmes géraient tout : l’argent, les enfants, les achats, le ménage, le travail de leur mari, de leurs enfants et le leur ! Je peux vous dire qu’elles riraient si elles voyaient que l’on vend désormais des plannings d’organisation pour la famille.
A Boulogne, la famille n’est pas que de sang. Quand on est marin, on fait partie de la famille des pêcheurs et, à moins de se marier à un marin ou de changer de métier, il est difficile d’entrer dans ce cercle et d’être accepté. Mais cela est spécifique aux pêcheurs car le reste de Boulogne était très riche. C’est la Seconde Guerre Mondiale qui a tout basculé.
Boulogne a quasiment été entièrement détruite par les bombes britanniques. Seule la haute ville a été épargnée. Seules deux maisons ont survécu dans le quartier de la Beurière (l’une d’elle se visite). Depuis, l’activité de pêche a baissé étant donné que la majorité des bateaux ont coulé lors de la guerre. La population de la Beurière s’est déplacée en haut de la falaise, rendant la cueillette des fruits de mer difficile. Beaucoup de familles ont perdu leur mari, leurs fils. Beaucoup ont reçu des aides et n’ont plus travailler. Beaucoup n’ont pas su s’adapter alors que ces familles vivaient une vie des plus difficiles.
Aujourd’hui, des familles ne travaillent pas et n’ont pas travaillé sur des générations. Beaucoup ont eu une crise identitaire et les générations actuelles vivent encore cette crise sans vraiment s’en apercevoir.
Alors, finalement, pourquoi ces deux histoires ? Eh bien, parce que j’ai remarqué que sur deux lieux différents, à la même époque, se passent des choses différentes. De grands événements basculent la vie de petites gens. Mais ce sont les réactions et les choix de chaque personne qui ont des conséquences sur les générations futures.
Nous avons tous un passé familial qui nous est important (pour diverses raisons) mais je pense que le passé social, historique de notre région natale (ou celle où l’on vit, etc.) a aussi des conséquences dans notre vie. Nous agissons aussi d’une certaine manière parce qu’il y a ce passé plus global que la famille.
Avec Mary, nous parlions de l’échange que l’on peut avoir avec les autres et de la capacité à voir la souffrance de l’autre pour comprendre ses agissements. Pour moi, l’une des clés pour que ce monde aille mieux est de découvrir et comprendre ce qui a amené quelqu’un à faire, à avoir, à être ci ou ça. Nous trouvons donc cette questions magique : pourquoi ? Se poser cette question et chercher une réponse sincère, pour ma part, je trouve cela salutaire. Et parfois, nous trouvons un bout de réponse dans ces histoires du passé, ce passé qui nous semble lointain et qui, pourtant, nous touche encore.
Mélila, France, 25 ans, le 28 août 2017